mai 24, 2017
Cette fois, les sondages ne s’étaient pas trompés et Emmanuel Macron a bien été élu président de la République française le 7 mai, comme les marchés l’avaient largement anticipé. Un rebond avait déjà été ressenti après que le candidat d’”En Marche” était arrivé en tête à l’issue du premier tour le 21 avril, puis après le débat de l’entre-deux-tours du 3 mai où tous les coups furent permis pour finalement laisser la candidate du Front National, Marine Le Pen, quasi KO aux yeux des Français.
Ce soulagement ne s’est pas limité au CAC 40 mais s’est également fait ressentir dans les spreads sur les OAT et le taux de change EUR/USD. Une victoire des populistes aurait fait peser la crainte sérieuse d’un référendum et la menace d’un « Frexit », ravivant des heures sombres non seulement pour une zone euro déjà fragilisée mais pour l’Union européenne toute entière. Tous ces présages pessimistes sont maintenant dissipés.
Comme pour les « Trumponomics », les marchés semblent désormais occupés à calculer la probabilité que le nouveau président parvienne ou non à introduire ses « Macronomics ». La composition du gouvernement d’Emmanuel Macron reste un point d’interrogation même s’il est voué à n’être que temporaire en attendant l’issue des élections législatives qui auront lieu les 11 et 18 juin prochains. À titre d’exemple, la nomination d’Édouard Philippe, allié de longue date d’Alain Juppé, candidat aux primaires de la droite et du centre, au poste de Premier ministre pourrait influer sur la marge de manœuvre du parti fraîchement renommé « La République En Marche » pendant et après les élections.
Le président réussira-t-il à attirer de nouveaux poids lourds de la droite ou de la gauche ? Ou des deux puisqu’il s’est déclaré lui-même ouvert aux idées des deux bords du spectre politique, contrairement à ses prédécesseurs centristes en France qui avaient mis en avant leur indépendance des deux formations politiques ? Si la décision de l’ex-Premier Ministre socialiste Manuel Valls de se rallier à Emmanuel Macron est suivie par celle d’autres figures politiques de premier plan, les chances d’”En Marche” d’obtenir peut-être même la majorité absolue augmenteront.
» Emmanuel Macron va devoir affronter les syndicats et limiter l’énorme pouvoir politique qu’ils ont acquis après des décennies de lutte politique. »
Mais même dans un tel scénario, lui et son gouvernement seront-ils à même de mener des réformes en profondeur ? Ses deux prédécesseurs, Nicolas Sarkozy et François Hollande, n’y sont jamais parvenus malgré des majorités parlementaires plutôt confortables. Et les investisseurs s’impatientent.
Philippe Brugère-Trélat, gestionnaire de portefeuille au sein de Franklin Templeton Investments, déclare : « D‘après nous, c’est avant tout le marché du travail français, en piteux état, qui a grand besoin de réforme. Le taux de chômage est inacceptable, en partie à cause de règles trop strictes qui rendent difficile tout licenciement. Du coup, les entreprises hésitent à embaucher. Pour réformer le marché du travail, Emmanuel Macron va devoir affronter les syndicats et limiter l’énorme pouvoir politique qu’ils ont acquis après des décennies de lutte politique. Il faut s’attendre à une résistance de tous les instants, y compris à des grèves nationales tonitruantes et ultra-visibles. Mais c’est là un passage obligé pour l’économie française. Si Emmanuel Macron parvient à réformer le marché du travail, les marges opérationnelles pourraient grimper en France, le chômage baisser et les perspectives globales en matière de PIB s’améliorer. »
Son collègue au sein de Templeton Global Equity Group, Dylan Ball ajoute : « Le résultat pourrait être positif pour les banques, l’assurance et potentiellement les titres des entreprises du secteur de l’énergie à travers toute l’Europe. De l’autre côté, la victoire d’Emmanuel Macron sera sans doute moins favorable pour les entreprises dont nous considérons qu’elles ont des possibilités de croissance moindres. Par ailleurs, les secteurs les plus défensifs du marché des actions, comme les biens de consommation de base, pourraient sous-performer, tout comme certaines sociétés des secteurs des télécommunications et des services aux collectivités dont les résultats sont soumis à une réglementation très stricte. »
Tous les investisseurs ne partagent pas nécessairement cette vision. Vincent Durel, gestionnaire d’actions européennes, est convaincu qu’un potentiel de consolidation existe dans le secteur des télécommunications si Emmanuel Macron, comme il l’a annoncé pendant sa campagne, se décide véritablement à réduire la participation de l’État français dans Orange ou à totalement s’en désengager.
Globalement, les résultats des sociétés françaises pourraient être dopés de 10 % grâce aux mesures économiques du jeune président français, notamment les réductions d’impôt et un plan de conversion des actuelles réductions temporaires de charges sociales en des taux durablement plus bas. Les projets visant à augmenter les investissements de 50 milliards d’euros en cinq ans pourraient surtout bénéficier aux secteurs de l’énergie, de la construction et de l’informatique, selon lui.
Du côté des obligations, la victoire d’Emmanuel Macron est un signe de stabilité pour le moment si l’on en croit Kenneth Orchard, gestionnaire de portefeuille obligataire pour T. Rowe Price qui déclare : « Les obligations françaises à dix ans se sont récemment échangées jusqu’à 50 points de base au-dessus de leurs homologues allemandes à 10 ans mais nous tablons sur un resserrement modéré des spreads, plus proche des moyennes de l’année dernière. La France est sortie de la zone de risque politique, les marchés vont donc se concentrer sur d’autres écueils, comme les élections italiennes où le mouvement antieuropéen 5 Étoiles est en passe de devenir le premier parti ou encore sur un soulèvement possible en Espagne si la Catalogne continue de vouloir organiser un référendum sur son indépendance. »
Cependant, Steven Andrew n’est pas de cet avis : « Un bémol dans le discours sur la « fragmentation de l’euro » pourrait inciter les investisseurs à se concentrer sur l’amélioration des données fondamentales dans la région. La dette souveraine périphérique, comme au Portugal, devrait profiter d’un apaisement des craintes liées à l’instabilité politique. »
« Les obligations françaises pourraient rester stables, voire connaître une hausse, sur la base des prévisions de croissance et d’inflation dans la zone euro »
David Zahn, responsable des marchés européens des titres à revenu fixe au sein de Franklin Templeton, explique : « Nous attendons une nouvelle hausse des obligations d’État françaises bien que la victoire ait déjà été largement intégrée par les cours après le premier tour. Une fois que l’horizon des investisseurs aura dépassé la sphère politique, les obligations d’État françaises pourraient marquer le pas. Elles s’échangent actuellement à un niveau similaire aux bunds allemands sans être similaires. La France a une balance courante largement déficitaire, un important déficit budgétaire et un ratio dette/PIB élevé. Au fil du temps, nous pensons que les investisseurs réaliseront au vu des données fondamentales que les OAT françaises s’échangent à un niveau qui n’est pas le leur. »
Brandywine Global, filiale de Legg Mason, considère que les valeurs refuges, notamment les bunds allemands, les obligations d’État japonaises et les bons du Trésor américain, devraient gagner du terrain. Les spécialistes considèrent que les obligations françaises pourraient rester stables, voire connaître une hausse, sur la base des prévisions de croissance et d’inflation dans la zone euro. La production manufacturière dans la région, telle que mesurée par les rapports PMI, a été soutenue en amont des élections. Si les choses n’évoluent pas, la présidence de Macron devrait également conduire la BCE à réduire ses achats d’actifs en cours d’année et à s’orienter globalement vers un resserrement de ses politiques monétaires. Une fois la saison des élections passée en Europe, les dynamiques de marché et économiques ne devraient plus être prises en otage par la politique.
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Ruben Deroover